Philippe Rossillon, pionnier de la Francophonie

Archives BAnQ La une du « Devoir » du 12 septembre 1968 où Pierre Elliott Trudeau dénonce Philippe Rossillon comme étant un agent. Christian Rioux à Paris

Son nom semblait avoir sombré dans l’oubli, les derniers qui l’avaient côtoyé étaient souvent décédés, l’homme ne semblait donc pas avoir laissé un souvenir impérissable. Et voilà que, sans même qu’il s’agisse d’un anniversaire, coup sur coup Philippe Rossillon est l’objet à Paris d’une biographie et d’un colloque à Sciences Po.

Quelle mouche a donc piqué les organisateurs ? À l’heure où la Francophonie semble sur le point de sombrer dans l’oubli, « il importait de rappeler que ça n’a pas toujours été ainsi et que des hommes comme ça, il n’y en a plus beaucoup pour défendre la langue française ! » affirme du haut de ses 88 ans l’ancien ambassadeur Albert Salon, vieil ami du Québec, qui préside depuis vingt ans l’association Avenir de la langue française.

Le souvenir de ce pionnier de la défense de la langue française partout dans le monde pourrait-il sortir la Francophonie de sa léthargie ? C’est ce qu’espère le fils de Philippe Rossillon, l’ingénieur Kléber Rossillon, selon qui « la France a depuis trop longtemps abandonné toute politique de la langue française et de la francophonie ». Et cela, en dépit de l’inauguration en grande pompe le mois prochain à Villers-Cotterêts d’une cité internationale de la langue française, qu’il qualifie ni plus ni moins que de « tombeau poétique ».

Une Francophonie militante

Kléber Rossillon se souvient de cette époque où Québécois et Acadiens occupaient parfois pendant des mois la chambre d’amis de la maison familiale. Une époque où son père et sa mère, Véronique Seydoux Fornier de Clausonne, accueillaient tous ceux qui quelque part dans le monde militaient en faveur de la langue française.

« On ne parlerait probablement plus de Francophonie s’il n’en avait pas été le fondateur et le pionnier », affirme son biographe, Bernard Lecherbonnier. Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois en 1969. Étudiant, Lecherbonnier préparait une thèse sur les langues africaines. Il sortit de l’entretien dépité, tant son interlocuteur avait mis en pièces toutes ses hypothèses. « On s’est quittés fâchés. On n’était d’accord sur rien. Je pensais qu’on n’allait jamais se revoir. » Ils travailleront pourtant côte à côte pendant trois décennies.

« Philippe Rossillon était ainsi. Il ne pouvait pas être d’accord avec vous dès le premier abord. Il vous obligeait à aller au-delà de vous-même », dit celui qui publie ces jours-ci Philippe Rossillon, l’inventeur de la Francophonie (Descartes & Cie).

Si le nom de Philippe Rossillon est incontournable, c’est qu’on lui doit quelques-unes des réalisations les plus importantes de la Francophonie. À commencer par la création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), qui deviendra en 2005 l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

« S’il n’a pas été à l’origine du projet, il est certain en revanche que celui-ci n’aurait jamais vu le jour sans son acharnement à lever tous les obstacles qui encombraient sa route », écrit Lecherbonnier.

Sur tous les fronts

Rossillon avait la confiance de De Gaulle et le soutien total de Pompidou, qui lui confia alors le Haut Comité pour la défense et l’expansion de la langue française. Dans ce comité, on trouve des gens aussi prestigieux que l’historien Fernand Braudel, l’éditeur Jérôme Lindon et les écrivains Henri Queffelec, Maurice Genevoix et, plus tard, Julien Gracq.

Pendant toutes ces années, Philippe Rossillon n’aura de cesse de créer en France des commissions de terminologie afin d’adapter le français aux technologies qui montent. « C’est un moderne passionné d’informatique et de traduction automatique qui s’intéresse aussi à la protection du consommateur et à la langue des médias », dit Lecherbonnier.

Il arpente alors tout ce que le monde compte de territoires francophones, de la Wallonie à l’Acadie, du Québec à la Polynésie. Les premiers à cogner à sa porte seront des Québécois, comme l’historien Denis Vaugeois, alors directeur général des Relations internationales du Québec, et l’ancien journaliste du Devoir Jean-Marc Léger, qui dirige à cette époque l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), et bientôt l’ACCT. Il faut dire que Rossillon avait attrapé la piqûre du Québec lors d’un premier voyage en 1955, où il avait rencontré Jacques Parizeau à l’École des hautes études commerciales de Montréal.

« Les tout premiers militants de la Francophonie étaient les Québécois, dit Lecherbonnier. Ils voulaient dialoguer avec le monde et sortir de leur isolement. En même temps, le Sénégalais Léopold Senghor et le Nigérien Hamani Diori se demandaient comment les Africains allaient maintenir des liens et communiquer entre eux. »

Alors qu’en juin 1966 Diori lance l’idée d’une « Communauté spirituelle des nations qui emploient le français », en janvier 1968, dans une note diplomatique, Rossillon propose au ministre des Affaires étrangères de la France, Michel Jobert, le projet de la Francophonie. Un an plus tard sera créée l’ACCT où, grâce à Rossillon et au lobby québécois à Paris, le Québec aura rang de « gouvernement participant ».

En 1967, Rossillon avait été l’un des organisateurs, avec son ami de toujours Bernard Dorin, de la visite du général de Gaulle au Québec*. C’est lors d’un de ses multiples voyages en terres francophones que ce Périgourdin, qui ne prisait pas plus qu’il ne le faut les complications diplomatiques, acceptera l’invitation de se rendre à la Société culturelle manitobaine sans en avertir Ottawa.

Le 10 septembre 1968, celui que les rapports de la GRC considéraient comme un « agitateur étranger » sera traité par un Pierre Elliott Trudeau très en verve d’« agent plus ou moins secret de la France ». Michel Jobert défendit le caractère privé de l’invitation, comme le reconnut finalement Trudeau, sans pour autant renoncer à ironiser sur cet « agent non secret ».

« Il est temps de faire savoir à M. Trudeau que son attitude francophobe risque fort de compromettre décidément toutes les relations entre Paris et Ottawa », écrira de Gaulle dans une note diplomatique. « On dit beaucoup de mal de vous à l’étranger. Moi, j’en pense beaucoup de bien », confirmera publiquement le général en présence du principal intéressé.

Réveiller une conscience endormie ?

Toute sa vie, Rossillon sera ulcéré par le conformisme culturel qu’impose au monde la domination de la langue anglaise jusqu’au sein de l’Union européenne. C’est pourquoi, après la Francophonie, il s’investira dans l’Union latine, qui regroupait 36 États membres ayant pour langues l’espagnol, le français, l’italien, le portugais, le roumain et le catalan. Il sera aussi le fondateur des Amitiés acadiennes, qu’il présida pendant plusieurs années. Comme il se passionnait pour l’enseignement des langues régionales en France.

C’est lui qui avait organisé en janvier 1968 la célèbre visite de quatre représentants acadiens à l’Élysée, où ils furent reçus par le président. Longtemps avant que l’on parle de diversité culturelle, Philippe Rossillon s’érigea en défenseur des langues menacées.

Dès 1965, dans De Gaulle et les patries, il écrira : « Nous rêvons d’un monde où le sentiment et l’organisation d’un destin commun à tous les peuples n’excluraient pas la douillette tiédeur des particularismes, pour autant que les hommes tiennent encore à leur clan, à leur patrie comme à une maison. Nous rêvons d’un monde où les multiples patriotismes d’un homme sensible puissent s’additionner et non s’entrechoquer. » Trois semaines après sa mort, le 1er octobre 1997 à l’hôtel des Invalides, la ministre Louise Beaudoin rendra hommage à « un modèle de pugnacité et de persévérance » qui savait « que le combat du Québec pour la souveraineté est affaire de continuité et de durée ».

Aujourd’hui, une Délégation générale à la langue de France et aux langues françaises existe toujours à Paris. Mais, renvoyée au ministère de la Culture, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut sous Rossillon.

En 1997, le ministre Claude Allègre n’avait-il pas dit qu’il ne fallait « plus compter l’anglais comme une langue étrangère » ? L’exemple de Rossillon pourrait-il réveiller une conscience endormie ? Nul doute que tel est le secret désir de son biographe.


* Lire sur gaullisme.fr : « Vive le Québec Libre »


1 commentaire sur Philippe Rossillon, pionnier de la Francophonie

  1. Gilles Le Dorner 77 // 2 juin 2024 à 7 h 29 min //

    « fin de vie » , qu’est-ce à dire ? Quel jour , quelle heure , comment , quelle vie ? / 1. C’ est peu dire que les jours actuels sont , en toute gravité , peu propices à discuter ou voter une proposition de loi en contexte international ou tumultueux ou d’ outre-mer ou de campagne électorale et que même en catimini ou transparence de Chambre les débats menés traînent une lourde absence ou indifférence , en gravité du sujet , celle des mises en garde ou consciences exprimées et conscience des soignants et de soignés aussi . 2. Ce n’ est pas procès d’ intention ni charge politicienne de reconnaître que l’ état des lieux des soins palliatifs peut et doit être amélioré . 3. Le soin et , en soins , l’ accompagnement par le soin fondent la Médecine . Cette proposition de loi altère le sens du soin et de la vocation qui a un sens et du soin jusqu’en effectifs . Cette proposition de loi contredit le soin . Qui plus est , elle est une porte d’ entrée aux clivages entre soignants et un gouffre de procédures affectant soignants et mais aussi entourages familiaux ou autres . Cette proposition de loi mêlant soins palliatifs et aide à mourir est un glissement en association sociétale de sujets dite plan d’ ensemble . Cette proposition de loi est inacceptable

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